Humbles ustensiles

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C’est injuste je vous dis ! Paraît que c’est à moi de décrire la traversée, alors qu’il me semble n’en avoir aperçu que quelques épisodes, dans les intervalles où j’émergeais de la couchette ou des toilettes, ou de la contemplation hébétée d’un plat-bord qui m’avait vue bien défaite et hoquetante…

La photo de page de garde de l’article vous aura tout de suite renseignés sur une de mes préoccupations récurrentes : à quelle heure ai-je pris mon dernier mercalm et ne serait-il pas temps d’en reprendre un ? Ou bien ai-je dépassé la dose de 6 par jour ?

Bien sûr, au cours de ces six jours et nuits entre Garachico et Dakar, j’ai capté que nous étions en pleine mer (360 degrés d’horizon et de vagues plus ou moins hautes, au-dessus de plusieurs milliers de mètres d’eau profonde et mystérieuse), et que nous ne rencontrions pas grand monde avec qui échanger sur les mérites respectifs de la banane et du chili concarneau végétarien, à l’ingestion et à l’éjection (avis d’Aurélien : « le haricot rouge, finalement c’est pas mal, c’est aussi doux que la banane »).

Je me suis également dit que j’allais enfin retrouver une taille mannequin. Bon au final, ce n’est quand même pas une méthode géniale pour perdre du poids.

J’ai aperçu quelques dos de dauphins, reçu à plusieurs reprises un beau splash d’eau salée sur la tête, essayé de repérer des étoiles connues dans l’immensité de la nuit, admiré les manœuvres de prises de ris (pas de riz, malheureux !), et le courage d’Aurélien à descendre préparer quelque recette ou faire la vaisselle dans la gîte de notre gîte (pas un gîte à la noix, bien que coquille de noix frêle et solide à la fois sur l’immensité atlantique). Bon bref, je fais des jeux de mots maintenant, mais je n’en menais pas large la plupart du temps.

Préparation de poisson à la tahitienne par Aurélien

Pour ma part, je peux être utile à bord lorsque nous sommes tranquillement installés dans un port ou un mouillage peu agité, épluchage et cuisine, vaisselle, rangement, école des filles, raccommodage, mais en traversée, on dirait que toutes mes capacités s’évaporent, et pas la peine de me recruter pour les manœuvres, à part de temps à autre choquer une écoute pour faciliter l’enroulage du gênois…

Ce n’est pas moi par exemple qui serait capable comme Flora de m’allonger à plat ventre et en pente à l’intérieur du bateau pour « checker les fonds », comme elle dit, ou d’aller vérifier ce qui fait du bruit quelque part pour être sûre que ce n’est rien de grave ou d’important. Et puis, hu hu, oserai-je l’avouer, c’est elle aussi qui est allée ramasser « les morceaux » sur les draps de la cabine arrière, lors d’un de mes plus grands moments de désarroi stomacal et de sac plastique fuyant…

A ce propos d’ailleurs, dévoués à la cause de mes futurs collègues équipiers de traversée (enfin ceux qui ont les labyrinthes sensibles et l’estomac un tantinet instable), mes neurones ont enregistré quelques points forts et essentiels à repérer à bord. Je veux parler entre autres d’humbles ustensiles du quotidien, de ceux qui passent inaperçus mais auxquels on se raccroche avec affection et respect dans les circonstances mouvantes de la vie maritime !

Tout d’abord, il y a les mesures d’hygiène et les 5F à éviter (faim, froid, fatigue, frousse et foif), et les cachetons dont même Aurélien a pu constater l’aide efficace (un coucou à Ben et Sandra pour le mail de recommandations !).

Et puis approvisionnez de discrets :

sacs plastiques de petite taille, que vous roulerez à disposition dans vos poches de pantalons, vestes de quarts, afin de pouvoir vivement en extirper un au moment crucial. Attention, pour les animaux marins, ne pas les jeter à la mer après usage !

Un autre objet dont l’image s’est fortement imprimée sur ma rétine, c’est ce beau et modeste seau bleu :

bien calé dans son coin, accroché à son bout, qui permet de récolter de l’eau de mer à l’arrière pour la jeter vivement et efficacement sur les restitutions opérées dans le cockpit ou sur un plat-bord (Mélisse après avoir été malade : « Ouh, c’est le plus gros tas de vomi que j’ai jamais vu ! ». Morts de rire. A noter qu’une des familles de navigateurs croisées en  Galice, munie de trois garçonnets un peu sensibles aussi, utilisait un mot fort poétique : « On a eu pas mal de vomito à bord ». Vomito versus Pépito, j’ai trouvé ça beau).

A noter que ce seau tout usage est bien pratique pour récupérer le poisson pêché, ou faire un premier lavage de la vaisselle à l’eau de mer (économies d’eau douce impératives en traversée… ne comptez pas prendre une douche, mais de toute façon je suis tranquille, vous aurez tout juste envie d’une toilette de chat aux lingettes bébé, tiens voici un autre équipement à approvisionner dans votre sac !).

Passons maintenant aux conditions de dodo en traversée. Dodo ou allongement temporaire nécessaire. La position couchée permet en effet de réguler les effets de la houle et de la gîte, dans les moments de malaise moyen. Pas question d’utiliser la cabine avant, car on peut vite y valdinguer dangereusement, voir ma chute en août et l’arrachement osseux qui s’en est ensuivi.

Mélisse et Erell dorment dans la cabine des parents à l’arrière, parfois l’équipier de repos peut les y rejoindre, mais le plus souvent il s’installe dans le carré, dont les couchettes ont été équipées par Aurélien de solides toiles anti-roulis.

Vous vous y infiltrerez après avoir quitté dans l’ordre, laborieusement et en vous calant un max vu que le sol penche, que vous êtes fatigué(e) de votre quart, que vous êtes mouillé(e) possiblement d’eau de mer, que vos doigts s’embrouillent dans les anneaux et les sangles de votre sous-cutale (*) :

  • votre bonnet, vos gants,
  • votre gilet de sauvetage et son harnais,
  • votre veste de quart,
  • votre polaire,
  • vos pompes et vos chaussettes,
  • votre pantalon ou salopette de quart,

et si vous êtes très courageux(se), vous enfilerez même un pyjama, mais ça je ne m’y suis jamais risquée. Trop de boulot. Malgré tout, c’est un grand élément de dignité et de confort que de quitter son matos de quart et de s’allonger dans une tenue plus souple, moins mouillée et donc réconfortante.

(*) La sous-cutale s’accroche élégamment par l’entrejambe de derrière le gilet à l’avant du gilet, afin d’éviter à celui-ci de quitter votre corps par la tête si vous tombez à l’eau. C’est une sangle redoutable à décrocher au moment héroïque d’aller faire pipi dans les toilettes la nuit, vous comprendrez quand vous bataillerez avec votre pantalon qui ne voudra pas descendre.

Après tous ces efforts de déshabillage, vous plongerez dans un sommeil ardemment désiré, bercé entre dossier de la banquette et toile anti-roulis, au chaud dans un duvet et sur un oreiller, à l’écoute des bruits des vagues contre la coque, des claquements de voiles, drisses, écoutes sur le pont, et parfois l’équipier de quart viendra malheureusement vous requérir pour l’aider à faire une manœuvre ou vous demander votre avis sur la navigation… Enfin si vous êtes un équipier compétent en la matière, ce qui n’est carrément pas mon cas.

Car je l’avoue humblement, je n’ai pas été d’un grand secours. Mais j’ai pu quelques quarts tenir conversation à Flo ou Aurélien, ou bien veiller sur leurs mini-sommeils.

Dans de telles circonstances, vous ferez connaissance avec d’autres ustensiles bien utiles.

La tomate de quart, par exemple :

Elle minute, entre deux vérifications du réglage des voiles, de l’allure du bateau, du cap, de l’AIS, et de l’horizon pour détecter un autre bateau qui pourrait croiser notre route, le temps que s’octroie l’équipier de quart pour roupiller un peu. Il (elle) la règle à environ 15 minutes, la fourre dans sa poche et hop, s’assoupit un tantinet.

Bien entendu, c’est le pilote automatique qui travaille pendant ce temps, l’équipier s’est assis semi-allongé sur une des banquettes du cockpit, mais comme elle est un peu dure, il a peut-être préféré caler en haut de la descente et sous la capote, pour éviter les splashs de vagues, un autre objet plus massif et qu’on voit d’ordinaire dans les salons design ou les chambres d’enfants :

le bien-nommé FatBoy ! (position reconstituée du veilleur de nuit et de son équipement).

Un autre moment parfois acrobatique, les repas (petit déj’, déjeuner et dîner bien respectés, car voir les 5F, il faut manger, même petitement). On ne va pas s’encombrer d’assiettes multiples, et de couverts compliqués. Faut que la nourriture ne se renverse pas, et qu’aucun matos ne parte à la mer. On se cramponne à son bol et on surveille le niveau des liquides dans les récipients !

Bien. J’espère que vous avez maintenant quelques points de repère pratico-pratiques de la vie ordinaire en traversée, et je vous souhaite en toute bonne foi de ne pas être autant obnubilés que moi par les aléas stomacaux… désolée de cet article assez gore !

Car il y a tout de même de bons instantanés à emmagasiner en mémoire : les poissons-volants qui arrivent comme des fusées sur le pont en pleine nuit, « POC ! », big raffût (Flora : « C’est quoi ce bruit ??? »), faisant direct un panier dans un équipet du cockpit ! et Flora me suppliant de les trouver et les rejeter à l’eau car elle n’aime pas les attraper… Joli poisson aux immenses nageoires latérales, frétillant et se débattant avant de retrouver l’élément liquide, et laissant sur les doigts une belle odeur de marée 😉

Le jour ils « volent » en bancs argentés et bleutés, tels des libellules, en fuyant leurs prédateurs, si rapides et fugaces qu’on ne peut les capter à la caméra.

Un matin Aurélien a également découvert un petit calmar qui lui aussi avait sauté sur le pont. Il s’en est servi d’appât.

En approchant des côtes du Sénégal le dernier jour, un petit oiseau (l’oiseau = picc mi, en wolof) est venu s’installer dans nos haubans pour nous faire un bout d’accompagnement.

La suite, vous la saurez bientôt, beneen yoon (une autre fois). Juste vous montrer un aperçu du plancher des vaches ici (que j’étais fort contente de retrouver) :

Christiane

18 réponses

  1. Borel
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    Et Oui,la voile c’est ça!je t’ai trouvée très courageuse de le faire avec 2 protheses de genou.J’ai beaucoup pensé à vous.Vous aurez de grands souvenirs au fond de votre mémoire.Les petites aussi.
    Ton récit est superbe:nous y étionset en tant que violeuse à la parisienne…..
    Bisous

    • auflo
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      Ah oui, violeuse de l’intimite de maman ;-). Flora.

    • Mireille
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      Bonjour la famille du bout du monde !!

      (Presque) dernier jour pour vous souhaiter une belle, douce, heureuse, chaleureuse année et vous remercier de nous faire partager de belles aventures, de magnifiques photos qui font rêver ! Quels beaux souvenirs à accumuler pour toute la vie.
      Bonne suite de périple, à bientôt !
      Mireille (du CEIDRE, comme cela doit te paraître loin Flora !!)

  2. Borel
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    Zut je viens de voir que j’ai écrit violeuse pour voileusemes excuses mais j’ai le mal de terre

  3. Charles
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    Pas mal le « lapsus » ! Bravo !
    Quel récit ! Ouah, ça donne envie !!!! et aussi quel talent de « reporter » !
    Et dans tout çà, comment vont les filles ?
    Nous continuons de vous suivre avec grand intérêt.
    Affectueusement.

    Charles

  4. Charles
    |

    Une question ! Un seul seau pour 5 ou 6 ? est-ce raisonnable ?

    • auflo
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      Mais tout le monde n’est pas aussi malade que maman ! Il y a tout un panel entre maman et erell ou moi !
      Yes, les filles vont bien, elles feront un article sur le Sénégal un de ces 4.
      Bises ! Flora.

  5. anne
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    hihihi !!! 🙂 voilà la bien belle description d’une traversée ! souvenirs ! la vie à bord n’est pas un long fleuve tranquille

  6. Mamilo
    |

    Comme si on y était … Félicitations Christiane. Je pensais bien à vous pendant la traversée, car en la matière, j’ai une solide expérience : usage du seau, repérage dans le cockpit de l’endroit le plus accessible pour aller, en toute sécurité, alimenter les poissons, odeur nauséabonde des vieux cirés jaunes d’antan, angoisse des envies pipi qui obligent à aller aux toilettes avec séances de déshabillage bien décrites et en prime le plaisir d’ouvrir, fermer les vannes et de pomper ( je crois que c’est un peu plus aisé sur Penn Gwen). J’ai bien éclaté de rire en lisant la remarque de Mélisse ! Mais je ris jaune, car je ne me suis pas étendue dans mon article sur le mouillage d’Isla Lobos …

  7. edith
    |

    Bon, merci Chris, pour toutes ces informations, il nous faudra viser pour éviter une navigation pleine mer!!
    Sûr qu’on doit hésiter avant de manger une bonne choucroute!!!
    Et à vous tous, jeunes et moins j.., trop fort vos récits , on s’y croirait!
    Vivement le prochain témoignage, du Sénégal en direct!!
    En quoi va consister votre mission, Flora et Aurélien, avec l’association?

    Pleins de bisous

  8. Béatrice G
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    Oh Christiane, ton récit m’a serré aux tripes et j’en ai eu mal au ventre pour toi mais en même temps je te l’avoue j’ai bien ri et j’en ai un peu honte (mais ça passe vite…). Je me demande si tu n’es pas un peu maso mais encore bravo moi je crois que je serais rentrée à la nage ! Je t’embrasse ainsi que tout l’équipage. A bientôt

  9. Monique Neyret
    |

    Alors moi je sais, je ne tenterais même pas!! La preuve, je ne me suis pas inscrite pour une traversée ! Tant pis, je ne connaîtrais pas le seau bleu…
    Bien envie d’avoir des nouvelles de vos journées sénégalaises.
    Pour nous, Lambert part demain dans une université à Budapest pour 4 mois, belle expérience avec une traversée de 2 h en avion!
    Nous irons le voir début avril, on vous racontera, mais on va pas faire un blog!!
    Bises toutes douces à vous 5

  10. Gérard Dubreuil
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    Bravo Chris, pour cette autopsie de traversée en over-dose de mal de mer ! En fait le mal de mer empêche de jouir aisément des moments magiques mais on reconnaît bien dans ton récit les contraintes d’une traversée pour tout le monde . Le plus étonnant , c’est qu’après coup on en redemande. Etonnante dialectique du plaisir et du déplaisir.Merci pour cet article.
    Bises à tout le monde .
    Gérard.

  11. Michel Huchet
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    Bravo à tous pour cette courageuse traversée qui aura au moins eu le mérite de nous offrir un excellent récit de traversée !!! Bon séjour au Sénégal
    Michel/Bureau VSF

  12. Ophélie
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    Génial ton article Christiane, moi aussi il m’a fait beaucoup rire, tu as beaucoup de talent pour écrire et nous plonger dans ton univers.
    Des gros bisous

  13. IA ORANA
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    On y est presque Christiane! Chapeau!
    Je transfère de ce pas cet article à maman, qui demande toujours à nous rejoindre, alors qu’elle aurait certainement vécu la même traversée 🙂
    J’espère que tu es bien rentrée et que le Sénégal t’a redonnée plein d’énergie!
    A la revoyure insh’allah!
    Anne-Laure

  14. Marie R
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    Je lis ce commentaire après son retour , je suis ravie de la voir aujourd’hui hui sans petit sac plastic , debout , bronzée … Prête à repartir!

  15. STUGERON. Ce conseil ne vous servira peut etre plus; en esperant que vous etes habitués au roulis et aux mouvements complexes de la mer. On ne le trouve pas en FRance,(ils preferent vendre des produits qui ne marchent pas) mais en Espagne on le trouve. Meme les astronautes l’utilisent contre le mal de l’espace.