Sur les pontons, on croise plusieurs sortes d’équipages. Ceux qui, comme nous, sont en grand voyage pour une durée déterminée plus ou moins longue (famille, jeunes retraités, jeunes tout court). Ceux qui ont fait de l’itinérance en bateau leur mode de vie, comme cette famille rencontrée à Santa Cruz de Tenerife, partie il y a 16 ans avec leur petit garçon de 3 ans ; il a maintenant 19 ans et vit toujours avec eux sur le bateau, il fait ses études à la fac à Tenerife. Et les aventuriers, en tout cas à nos yeux. Qu’est-ce qui les différencie des autres ? Cela peut être leur bateau : plus spartiate, plus petit, plus ancien, ou non conçu pour la haute mer. Leur destination : mers froides, itinéraires loin des pays considérés comme sûrs et de leurs marinas. Ou l’équipage qui se réduit à un capitaine. Bien sûr souvent plusieurs de ces critères se cumulent. Ces atypiques attirent la curiosité et la sympathie des voisins. Et c’est ainsi que nous avons fait connaissance avec plusieurs bateaux-aventuriers depuis quelques mois.
A Bourgenay au printemps dernier, nous avons rencontré l’équipage de Lily Pute, un ketch miniature de 5 mètres construit à l’échelle 1/3. Un équipage de deux quinquas bons vivants avec qui nous avons rapidement fait connaissance. Nous avons passé la soirée dans leur carré. Enfin façon de parler, car on ne tient qu’à deux dans le carré de Lily Pute ! Les autres doivent se trouver une place dans la descente ou sur le pont. Mais une fois calé à l’intérieur, tout est à portée de main : cuisinière, matériel de navigation, couchette, et même chauffage, qui nous a bien servi en cette fin de soirée d’avril. L’équipage venait de tenter une sortie pour gagner les Sables d’Olonne contre le vent et la mer bien formée, mais avait dû renoncer après quelques bords carrés et sûrement pas mal de paquets d’eau sur le ciré de l’équipier de quart en navigation. Car en navigation on ne tient qu’à une personne dans le cockpit, le deuxième doit rester à l’intérieur. Partis de Dordogne, ils visaient une remontée de la Bretagne suivie d’une traversée de la Manche.
Lily Pute (source : cotremarcheavec.wixsite.com)
Sur notre ponton de Tenerife, un bateau en alu, étroit, bas sur l’eau, une dizaine de mètres, attire mon attention. Son nom, La Céleste, me dit quelque chose. Après recherche sur internet, il s’agit du nouveau bateau de Manu Wattecamps, un jeune navigateur dont je suivais les aventures par le biais de son oncle Philippe qui travaillait avec moi à Paris. A trente ans, il a déjà écumé une bonne partie des mers du globe en solitaire, dont le cap Horn et le passage du nord-ouest. Il a connu malgré lui son moment de gloire l’année dernière après avoir perdu son voilier, chaviré par une vague scélérate au sud de l’Alaska et privé de safran. Son sauvetage, filmé par l’hélicoptère des garde-côtes, a alors fait le tour de la presse spécialisée : au milieu de la mer déchaînée, il a réussi à sauter sur le pont du brise-glace, emmenant dans ses blousons juste ses papiers et … son chat adopté dans un port quelques semaines auparavant. Soutenu par de nombreux inconnus, Manu s’est racheté un bateau, la Céleste, et a largué de nouveau les amarres, moins d’un an après sa fortune de mer. Adieu les mers froides, direction cette fois-ci l’Afrique du Sud et la Papouasie Nouvelle-Guinée où il espère trouver quelque chose de « vrai ». Dans ses écrits comme sur les pontons, Manu est séduisant, chaleureux et naturel. Nous repartons avec le 6e exemplaire de son livre où il raconte ses précédentes aventures (rocambolesques également) et qu’il espère vendre au cours de son voyage pour remplir la caisse de bord.
Manu et son chat après le sauvetage en Alaska
Toujours à Tenerife, nous sommes réveillés une nuit par un bruit de moteur pétaradant autour de nous. Il s’agit de trois minuscules voiliers polonais, remorqués par le seul des trois équipé d’un moteur, qui viennent s’amarrer autour de Penn Gwen. Vu la taille des bateaux, pas de problème de place : ils tiennent à deux bateaux par emplacement ! Les jours qui suivent, la flotte se complète pour atteindre 7 bateaux, tous polonais. Il s’agit d’une course transatlantique en solitaire ou en duo, sur un modèle de 5 mètres, construit en Pologne depuis les années 80 et plutôt destiné à une navigation sur des lacs. Pour donner une idée des proportions, le poids du bateau en course est de 700 ou 800 kg, soit même pas 10% du poids de Penn Gwen ! La première étape les a amenés du Portugal à Tenerife (700 milles) et la deuxième les conduira aux Antilles (2800 milles).
Nos voisins de ponton
Flora fait connaissance avec un de ces voisins, Arek, qui nous en raconte un peu plus sur ces coureurs hors normes, parfois expérimentés, parfois novices (l’un deux navigue pour la première fois en haute mer). Un des concurrents, après avoir eu à éteindre un feu à bord pendant la première étape, est tombé à l’eau. Heureusement attaché mais blessé pendant sa chute, il s’est fait traîner par le bateau pendant plusieurs heures avant de parvenir à remonter. Il a déclenché les secours, et sauté à l’eau de joie en voyant ceux-ci arriver, mais oubliant de prendre ses papiers. Ramené au Maroc, il a tout de même réussi à expliquer son cas et est de retour en héros en Pologne.
Notre voisin Arek n’en est pas à son coup d’essai. Pour lui, son « Quark » de 5 mètres est un grand bateau : il y a une vingtaine d’années, il a traversé l’Atlantique à bord d’un zodiac de 4,50 mètres sans cabine, équipé simplement d’une voile de 5 mètres carrés et d’un abri à l’avant pour protéger ses affaires. A 900 milles des Antilles, pris dans une tempête avec des vagues de 12 mètres, le bateau a chaviré. Arek est resté deux jours sur son esquif retourné, sans manger, sans boire, sans espoir de se faire secourir. Il a fini par réussir à redresser le bateau et terminer sa traversée malgré la perte d’une partie de ses vivres. Arek a également fait des courses automobiles, est parti sur les traces de Raymond Maufrais dans la forêt de la Guyane française et a écrit des livres. Il exerce aujourd’hui la profession de maréchal-ferrant et est jeune papa.
Penn Gwen et Quark, le bateau d’Arek
Sur son bateau, pas de matériel compliqué : une batterie de mobylette alimente deux lumières : une en haut du mât et l’autre dans le carré. Un panneau solaire de 5W (sur Penn Gwen, on a des panneaux solaires de 200W et un hydrogénérateur). Un petit GPS de poche et une carte papier. Un régulateur d’allure conçu par Arek mais qui ne fonctionnait pas pendant la 1ère étape ; Arek a travaillé dessus plusieurs jours pendant l’escale. Une balise de détresse et un trackeur pour suivre l’avancement des bateaux. Et pas de téléphone satellite ni de moyen de récupérer une quelconque météo. Juste un baromètre sur sa montre. Pas de moteur. Et voilà. Je ne dois pas oublier grand-chose. Arek navigue attaché en permanence, même à l’intérieur du bateau. De toute façon son bateau est tellement petit que tout est à portée de longe.
Quark
Arek et ses comparses reprennent la mer samedi 10 décembre. Bonne route et que les vents vous soient cléments cette fois-ci !
Aurélien
Pour les polyglotes curieux :
la page Facebook de Manu Wattecamps :
le site de la course transatlantique (en polonais) :
le blog d’Arek (en polonais)
8 réponses
Christiane
Ben mes aïeux, je comprends la réflexion de Flora l’autre jour au téléphone « Maman, on rencontre des gens, ils font des trucs géants, nous on joue petit bras comparés à eux ! ». Et moi de penser in petto et dans mon for intérieur, pour ma tranquillité d’âme ça me suffit bien déjà assez comme exploit ce que vous faites, inutile d’en rajouter une louche !
Ce qui est épatant, c’est que la majorité de ces grands des mers naviguent sur des esquifs minuscules aux équipements minimaux et à la frugalité maximale. Bravo ! Bombard aurait aimé, et ce sont les Pierre Rabhi des océans ! Je comprends donc l’admiration et l’engouement de mes Colibris personnels.
J’irai voir les blogs – enfin si je peux dans l’espace de temps qui m’est imparti avant de rejoindre ces contrées d’aventuriers formidables. Moi-même aventurière formidable dans un sens (au vu du matos à porter et du mal de mer qui m’attend ;-)).Bisous et bien le bonjour autour de vous.
auflo
« Admiration et engouement », ce n’est pas exactement ça. Je les trouve souvent inconscients et ils ne me paraissent pas un modèle à suivre. Mais leur histoire est épatante et mérite d’être racontée !
Sandra
Je suis impressionnée par tous ces récits. Je pensais être aventurière dans une certains mesure mais la j’avoue que même si on me payait, je ne ferais pas ca. Deja sur un bateau « normal » c’est l’aventure!
Ce qui m’impressionne c’est la durée et la constance dans les projets. Cette capacité à se remettre à l’eau sans appréhension.
J’ai beaucoup aimé le style de cet article… une vocation d’écrivain est peut être née? À creuser….
Et je confirme Manu est tres mignon .
Christiane
Sacrée Sandra ! « très mignon » ! Je te reconnais bien là. Nanga def ? Ana sa waa kër ?
Mamilo
Récits captivants … mais rassurée, Aurélien, que tu ne sois pas tenté par ces aventures extrêmes, les vôtres me suffisent amplement ! J’ai voulu en savoir un peu plus sur Manu, et j’ai trouvé un article sur Ouest France, http://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/data/858/reader/reader.html#!preferred/1/package/858/pub/859/page/6, qui annonçait son prochain départ avec la Céleste, et … une » Marine », qui a dû , comme toi, Sandra, le trouver très mignon !
Quant aux navigateurs polonais, il leur faut sans doute un « brin de folie », et d’inconscience pour certains d’entre eux, en embarquant ainsi !
Gérard Dubreuil
L’Alaska,le Cap Horn,pour l’un;l’Atlantique en zodiac pour l’autre ; la traversée de la Manche sur un 5 mètres pour les derniers! Etonnant ! Il y a peut-être un fossé entre les moyens et le désir de naviguer … Il y a sans doute le désir fort d’une autre vie , de vivre sa vie dans une vie autre , loin des routines et du déjà écrit ,sans doute un brin de folie. Le besoin de l’Inconnu radical . Ils mettent leur vie en danger malgré tout, mais ne font de mal à personne ,si ce n’est à leurs proches qui doivent se morfondre.
La mer attire ces aventuriers, c’est un lieu magique pour ce type d’escapade. Promettez-moi d’être très prudents !
Je vous embrasse.
Grand-père .
Monique Neyret
Très beau style d écriture il est vrai et la réponse de Gérard est dans la même veine.
De la folie et de la passion sûrement. Parfois il est bon de rencontrer des gens « hors du commun ».
Cela fait partie de votre aventure qui vous et nous enrichit.
Merci pour ce partage et bisous gelés!
xavier
Forcement au coin de la cheminée, on se sent un peu, voir carrément, pantouflard… C’est superbe de vous voir ainsi, vous avez rêvé, vous rêvez encore et vous nous faites rêver…
Bises rêveuses